Homélie sur la prière persévérante
Publié le 21/10/2019Plusieurs paroissiens ont demandé d'avoir accès à cette homélie. La voici en ligne.
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Homélie du dimanche 20 octobre 2019
Temps ordinaire – Semaine XXIX – Dimanche C
Lectures : Ex 17, 8‑13 ; Ps 120 ; 2 Tm 3, 14 - 4, 2 ; Lc 18, 1‑8
Exemple : cet homme de la rue, venant du Congo Kinshasa, qui a mis 20 ans pour obtenir une identité française. Quelle persévérance ! Oui, il y a des moments où l’on frappe aux portes, et rien ne s’ouvre.
C’est vrai aussi de notre prière : on demande parfois indéfiniment des choses qui nous sont importantes. Une guérison, un travail, une réconciliation … et puis rien de ne vient.
Pourtant, malgré toutes ces expériences difficiles, Jésus encourage à prier avec persévérance, car, dit-il, « bien vite, Dieu fera justice à ses élus » (Lc 18, 8). Si même un juge corrompu finit par accéder aux demandes de la veuve, alors combien plus le Seigneur, qui est toute justice, écoutera la plainte et y fera droit.
Comme je le disais, ce n’est pas systématiquement notre impression ! Le “bien vite” annoncé par Jésus se transforme parfois en “très longtemps après” voire “jamais”. Alors voici quelques éclairages sur l’exaucement de nos prières.
1. L'enseignement de Jésus est avant tout centré sur une question de justice. La veuve a un adversaire qui lui fait du tort, elle ne peut pas se défendre toute seule, et donc elle veut que le juge la délivre.
Le refrain de cet enseignement, c’est bien “faire justice”. Or ce que nous demandons est en fait rarement une question de justice. Commençons par regarder cela en détail.
Par exemple, est-ce que être malade, c’est quelque chose d’injuste ? Nous demandons une guérison, c’est normal, mais alors il s’agit de faire intervenir la compassion de Dieu : la gratuité d’un miracle, ce qui n’est pas une question de justice.
Et s’il s’agit d’un enfant qui est gravement malade ? Est-ce qu’on n’est pas davantage dans l’injustice ? "Ce n’est pas juste, il n’aura pas le droit de vivre et de découvrir suffisamment la vie humaine", disons-nous.
Très souvent, quand nous disons “c’est injuste”, c’est dans l’idée que tout le monde devrait avoir la même chose. Une longue vie, une santé, une richesse …
D’une part Dieu ne fonctionne absolument pas dans cet esprit d’égalité de fait. Au contraire, il crée le monde selon des différences qui lui semblent bonnes. La variété de la création est pour Dieu l’occasion d’un perpétuel dynamisme. C’est le cas par exemple du règne animal, où la chaine alimentaire semble totalement injuste, mais d’où pourtant émerge en permanence la vitalité du monde.
Autre exemple : la différence homme – femme est pour l’humanité l’occasion d’une perpétuelle remise en cause de sa manière de se comprendre, de se connaître, et de vivre. Sans cette différence, l’humanité tomberait dans une uniformisation – tous pareils – ce qui serait contraire à l'être même de Dieu. « il les créa homme et femme »
L'uniformité n'est donc pas le premier moteur de la Création, et les différences ne sont pas forcément des lieux d'injustice.
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Pour revenir à l’enseignement de Jésus sur la prière persévérante, il faut donc réfléchir à ce que nous demandons.
S’il s’agit d’injustice, dans le sens d’un tort objectif que l’on me fait subir, alors nous sommes dans le cœur de l’évangile d’aujourd'hui : oui je sais que Dieu, bien vite, viendra me délivrer.
S’il s’agit plutôt de l’expression d’un juste désir, d’un peur, d’un malheur, alors je suis dans une autre attitude : “si cela te plaît”. Je sais que tu m’écoutes, je sais que tu m’aimes, et je te présentes cela, mais je sais aussi que tes vues sont celle d’un ensemble qui me dépasse, et je te fais confiance.
2. Le mode d’exaucement par Dieu : Dieu répond souvent bien vite, mais sous une forme autre.
3. Les “élus” qui se comportent comme des fils. Chez Jésus, ce que Dieu donne est conditionné à ce que l’homme donne vis-à-vis des autres. « Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » . Est-ce que nous faisons justice aux autres ?
« Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice » (2 Tm. 3, 16)
4. La croix : parfois la justice de Dieu passe par la croix, la mort à soi-même, le renoncement. Car la justification, c’est aussi devenir juste et apprendre que l’autre est plus important que moi. Le tort apparent de ma vie est parfois l’occasion d’apporter une justice plus grande au monde.
Sur la croix, Jésus pouvait à juste titre réclamer justice contre ses oppresseurs : or il demande le pardon pour eux.
5. « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre » (Lc 18, 8). Dans beaucoup de récits de guérison, Jésus conclut : “va, ta foi t’a sauvé”. La foi est-elle vraiment présente dans nos prières ?
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Bref, c'est au départ un enseignement qui semble au départ limpide : Dieu exauce toutes nos prières parce qu’il nous aime. Mais il faut creuser, et voir que cette parole est en fait centrée sur la justice : Dieu nous fait justice parce qu’il est toute justice. Mais cela ouvre plein de questions : qu’est-ce qui relève du domaine de la justice ou du désir ? Comment Dieu choisit-il de répondre ? Faisons-nous justice aux autres ? La croix est-elle plus forte que l’accomplissement de la justice terrestre ? Avons-nous la foi ?
Nous repartons peut-être avec plus de questions qu'au début de la messe. Ce sont des questions libératrices, capables de nous faire avancer dans la juste relation à Dieu.